La mine de Champagnac était confrontée à une autre difficulté importante, à savoir le manque de débouchés pour sa production. Elle se situait en effet dans un territoire rural peu industrialisé et excédentaire en énergie. Il offrait donc peu de consommateurs locaux en dehors des particuliers, de la SNCF ainsi que des centrales électriques des Houillères d’Auvergne, notamment celle de Brassac. Celles-ci absorbaient 50% de la production de la mine, 30% étant achetés par la SNCF, environ 10% servait à la fabrication de gaz, 4% à la consommation des particuliers et le reste était acheté par diverses industries. La mine était donc particulièrement dépendante de deux clients qui assuraient à eux seuls 80% de ses ventes. Ces centrales électriques avaient cependant intérêt à se fournir auprès des autres mines de la région, plus proche et dont le charbon était de meilleure qualité et moins chère, notamment celui de Messeix et de Brassac. De plus, la SNCF réduisait sa consommation de charbon avec l’électrification de ses installations et de ses locomotives[1]. Les particuliers commencent également à remplacer le charbon, et comme nous l’avons vu, plusieurs établissements du département avaient abandonné le charbon, privant la mine de clients locaux. Les débouchés de la mine étaient donc fragiles.
La mine de Champagnac devait donc chercher des clients plus loin, or elle était également assez enclavée, ce qui ne facilitait pas le transport du charbon. Seule la présence du chemin de fer permettait à sa production de vraiment s’exporter. Mais celui-ci va à son tour connaitre des difficultés après la construction du barrage de Bort-les-Orgues.
Débutée en 1942, la construction du barrage s’était achevée au début des années 1950. Dès 1951 la mise en eau avait commencé, ce qui provoqua l’inondation de la ligne reliant Eygurande à Bort-les-Orgues, réduisant ainsi la desserte ferroviaire de la mine[2]. Le transport du charbon depuis Champagnac devenu alors plus complexe et plus cher, devant ainsi faire un détour de 200km en passant par Aurillac avant de rejoindre la ligne Clermont-Tulles et ses débouchés à Limoges, Montluçon et Clermont-Ferrand[3]. Ce nouveau cout s’ajouta alors au prix de revient et désavantagea d’autant plus le charbon local sur le marché.
Il était à l’origine prévu de faire construire une nouvelle ligne ferroviaire, mais ce projet ne vit jamais le jour. La perte de la ligne était d’autant plus problématique que les routes ne sont pas toujours praticables, notamment pour des camions, du fait de leur petite taille, des nombreux virages et du risque d’enneigement. La difficulté du transport par route était ainsi soulignée dans plusieurs rapports des Houillères et de la préfecture. En 1954, 95% du transport s’effectuait encore par le train en dépit de la fermeture de la ligne Bort-Eygurande[4]. Les effets de la construction du barrage ont été dénoncés par plusieurs élus locaux[5] ainsi que par la presse locale[6] et sont souvent présentés comme étant la cause de la fermeture de la mine de Champagnac. Celle-ci était cependant déjà en difficulté à ce moment, et les problèmes d’écoulement existaient déjà. Le coke produit à Champagnac avait lui aussi du mal à se vendre car les usines sidérurgiques se situaient loin de l’exploitation[7]. Il en était de même des cimenteries qui étaient également des consommatrices importantes du coke[8]. La construction du barrage ne fit donc qu'accélérer une fermeture déjà difficilement évitable à moyen terme.
La possibilité de faire construire une centrale électrique sur place afin de permettre au charbon d’être utilisé localement, résolvant ainsi les problèmes de débouchés, fut envisagée. Le projet fut ainsi étudié à l’Assemblée nationale en septembre 1955[9]. Cependant il ne put pas aboutir : une centrale électrique suffisamment importante pour avoir un prix de revient correct, surtout dans un département excédentaire en énergie où le prix de l’électricité est faible, ne pouvait être alimentée seulement par la mine de Champagnac à moins d’augmenter sa production, solution qui semble une nouvelle pas avoir été envisagée par les Houillères.
L’intérêt d’un tel projet était donc quasi nul en dehors de la sauvegarde de l’activité minière. Il faut d’ailleurs noter que l’ancienne centrale électrique de la mine, qui datait de 1923, avait été abandonnée après la nationalisation[10], là aussi pour des raisons de coûts et d’échelle[11]. Ce projet semblait donc avoir peu de chance d’aboutir malgré le soutien de plusieurs élus locaux.
La question des débouchés était donc un problème chronique de la mine et la situation s’aggravait depuis 1951. Ces difficultés commerciales empêchaient également les Houillères d’Auvergne d’augmenter les prix pour résorber le déficit par tonne, car cela aurait privé encore plus la mine de Champagnac de ses clients. Ce charbon devait donc être vendu à bas prix, alors qu’il était cher à produire.
En 1950, la mine de Champagnac avait déjà des stocks invendus de 10 000 tonnes[12] et plusieurs rapports notaient que ceux-ci augmentaient durant l’année 1955 faute d’acheteurs ; la production de charbon de Champagnac était donc non seulement coûteuse, mais de moins en moins utile, et il y avait peu d’espoir d’amélioration. En effet, vu que le Cantal connaissait l’exode rural et la désindustrialisation, une amélioration de la situation du marché local était donc peu probable.
Dans cette situation les Houillères d’Auvergne pouvaient souhaiter fermer cette mine si coûteuse plutôt que de chercher à la maintenir en activité. C’est en tout cas l’impression qu’elles donnaient à plusieurs acteurs locaux qui l’accusèrent de scarifier l’exploitation de Champagnac[13]. Elles étaient de plus impactées par des difficultés d’écoulement au niveau de l’ensemble du bassin, et elles voyaient leur stock de charbon enfler d’année en année. La réduction de la production semble s’imposer, et, en toute logique, les Houillères voulaient la réduire en priorité là où elle était la moins rentable, donc à Champagnac. Plusieurs petites mines de la région avaient ainsi déjà fermé depuis la Libération par manque de débouchés et de rentabilité[14]. Dans une telle situation, les Houillères pouvaient difficilement effectuer l’ensemble des investissements indispensables à la survie de l’exploitation sur Champagnac.
[1] « Activité du comité départemental
d’expansion économique, 1958 », .
[2] cette ligne permettait en effet d’aller
vers Clermont-Ferrand, Tulles et Bourges
[3] « Champagnac
SOS deux témoignage », Fraternité Française, 25 octobre 1958
[4] Eugène
Martre, « Le Bassin de Saignes-Champagnac », Revue de la Haute
Auvergne, 1954, p. 1‑14.
[5] « Compte
rendu de la réunion du comité d’expansion économique du Cantal du 18 septembre
1958. », .
[6] J B,
« Les mines de Champagnac », La Montagne, 20 octobre 1955.
[7] « Note
de la préfecture du Cantal du 14 octobre 1958 », .
[8] « Charbonnage
de France, Documents économiques, numéro 9, janvier 1959 », .
[9] « À
propos d’une fermeture éventuelle des mines de Champagnac », La
Montagne, 22 septembre 1955.
[10] « Champagnac
SOS deux témoignage », Fraternité Française, 25 octobre 1958.
[11] « Rapport
Belin-Solasse », 1949.
[12] « Rapport
de la sous-préfecture de Mauriac du 18 avril 1950 », .
[13] « Lettre
du maire d’Ydes au préfet du Cantal du 24 janvier 1957 », .
[14] « Situation
des houillères dans le département : rapport de l’ingénieur en chef des Mines
et compte rendu de la réunion du 4 février 1960 à la préfecture. », .
[15] « Champagnac
SOS deux témoignage », Fraternité Française, 25 octobre 1958.
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